Une (des multiples) Histoire(s possibles) de la Photographie
par Daniel Clauzier, 2018
Il y a quelques années, Nicolas Rouget achète un lot de vieilles diapositives dans une brocante. Soigneusement rangé et trié, sauvé de la destruction, chaque cliché se révèle au fur et à mesure être un fragment de la vie d’un amateur de photo. Un homme, marié, peut être avec des enfants, avec des amis c’est certain. Souvenirs de voyages, images de fleurs, de paysages enneigés, de monuments historiques, de bâtiments contemporains… Un français lambda de la France de René Coty, qui avait la particularité d’être amateur (dans le sens véritable, étymologique du mot, aimer) de photographie. Notre amateur mitraille avec passion les scènes de la France rurale en voie de disparition. Il tente des cadrages originaux, et sagement osés, des jambes d’une femme. Il fait poser des enfants dans le vieux port de Marseille ou les figurants d’un des premiers sons et lumières de Versailles. De belles images, des beaux souvenirs que nous apprécions par procuration dans un beau diaporama sur écran perlé.
Aujourd’hui, l’historien de la photo ne peut s’empêcher de questionner le statut de ce type d’images. La photographie familiale, et sa fonction mémorielle décrite par Barthes, font partie de ce domaine appelé l’image
vernaculaire. En même temps, comme l’ont montré les photographes, de Walker Evans à Martin Parr, la frontière entre le vernaculaire et la grande photographie est parfois ténue. Ici, certains snapshots d’enfants en costume basque rappellent -presque- des instants décisifs de Cartier-Bresson. Des bergers posant devant les monuments antiques de Saint-Remy-de-Provence évoquent l’humanisme d’un Jean Dieuzaide. Des reflets/autoportraits dans une lanterne convoquent le souvenir des essais surréalistes. Des vues prises depuis la colonne de Juillet à Paris ne peuvent qu’évoquer à l’historien celles prises par Willy Ronis au même endroit la même année 1957. Des fleurs criardes font penser à Eggleston, et, entre une tour Eiffel et un portrait convenu se glissent des paysages un peu vides, sans sujet déterminé, qui semblent annoncer les clichés de Luigi Ghirri.
C’est avec cela en tête qu’à l’invitation de Nicolas, nous avons sélectionné parmi la production de ce talentueux anonyme les images les plus étonnantes, drôles, évocatrices ou tout simplement belles.
Ensuite, nous avons sélectionné des extraits d’un ouvrage grand public de la même époque, un livre de poche du style « J’apprends la photographie », le genre de livre qui a guidé tant d’amateurs du XXe siècle. Les généralités, adages, le ton désuet (et un tantinet sexiste) déclarent ce que doit être une photographie réussie et les difficultés que l’amateur devra affronter pour y arriver.
Au final, nous sommes tous récompensés : des « bonnes » photographies, vous êtes passés aux « belles » photographies !